Mardi le 6 mars, 20h, il fait moins quarante et alors que les gens sensés sont dans leur salon bien au chaud sous une couette, je brave le froid sibérien pour me rendre dans un sympathique café du Mile-End. J’entre et j’aperçois Séba, assis près de la fenêtre en train de dévorer un sandwish. Le rappeur déchaîné sur scène et pourtant bien calme dans la vie répond avec enthousiasme à mes questions, à la veille de la sortie du premier album véritable de son groupe, Gatineau. Entretient avec un freak de Montréal qui a le rythme dans le sang et la cause du rap dans le cœur.
Qui est Séba ?
Je fais du rap, je fais des soirées Rap Maudit, je chante dans Gatineau, pis j’ai collaboré avec Loco Locass et Ghislain Poirier. Dans les années ’90 je faisais du beatbox, je me tenais dans la rue pis j’ai commencé à rapper en faisant des graffitis sur les murs et en faisant du beatbox avec C-Drik et le IBM Crew.
Pourquoi le rap ?
J’ai grandi avec ça, avant d’écouter du rap je faisais du beat, des sons avec ma bouche. Quand j’ai découvert le rap j’ai tout de suite été séduit. C’était comme moi, c’était enfin quelqu’un qui s’exprimait pour moi. J’ai grandi avec le rap, le rap est vraiment dans moi. Là j’ai recommencé à en écouter beaucoup du rap dernièrement, mais y a été un bout où j’en écoutais moins mais ça me manquais pas. C’est comme Obélix, je suis tombé dedans quand j’étais ti-cul le hip-hop, je suis « old school ». C’est ma manière de m’exprimer. Je me souviens un moment donné j’étais gothique, j’ai été gothique pendant un an ou deux, pis je disait quand même « yo man » « chill » pis « fat ». Le rap ça sortira pas de dans moi. Mais c’est aussi un véhicule poétique. Pour moi c’est le véhicule poétique le plus intéressant en ce moment. C’est la forme d’art qui est la plus proche de la poésie mais c’est de la poésie qui est aussi la plus proche du langage parlé. C’est la poésie qui est la plus rythmée. Moi je faisais du beatbox avant pis je suis passé du beatbox au rap mais je n’ai pas l’impression de manquer quelque chose parce que la rythmique que je travaillais avant dans le beatbox est encore présente aujourd’hui dans mes textes.
Que penses-tu de la scène locale ? Ses acteurs, ses diffuseurs, son public ? Parce qu’on sait que tu as déjà « blogué » là-dessus en disant que c’était un bocal...
C’est ça que c’est, pis ça va continuer d’être ça. On est arrivés nous autres Gatineau, pis Omnikrom pis bien d’autres bands, à un moment super particulier pis trippant de la scène locale. C’est qu’il y a plein d’infrastructures, de bars qui sont prêts à nous accueillir et à produire nos spectacles avec nous autres. Pis y a aussi Myspace qui est un véhicule incroyable. Mais les groupes sur Myspace, on est tous nés, on s’est tous rencontrés sur le forum des Loco Locass, ça été un gros élément déclencheur. Sauf que maintenant avec Myspace y a beaucoup de bands, beaucoup de gens qui peuvent se diviser facilement, rapidement. Sans Myspace je pense qu’on ne serait même pas là nous autres Gatineau. Sauf que là y commence à y avoir de plus en plus de bands. Pis moi je suis en train de penser à ça, je pense qu’ y va vraiment falloir se structurer dans pas long parce que on va finir par crever. Parce que y a trop d’événements, y a trop de spectacles en même temps, écoute, juste les deux dernières semaines, y a eu des shows de hip-hop hyper importants. Y a eu DZ pis NDS au Main Hall, pis en même temps y a avait Sharp à L’Os, le lendemain y a eu Bounce le Gros, l’autre lendemain y avait une soirée de slam à laquelle je participe, le lundi y a eu TTC, après y a eu Rap Maudit, après y a eu Gatineau, Bleubird pis Subtitle, le lendemain Relaxe le Gros, l’autre lendemain un autre Sharp à L’Os pis le lendemain un autre show de hip-hop. Pis c’est toute le même crowd qui suit ça. Va falloir qu’on se structure, qu’on fasse des ponts avec les autres villes. Moi je suis en train de travailler avec les gens de Québec et de Rouyn-Noranda, pis avec les américains.
Pis le monde aussi buzz scène locale. Tu vas chez les gens, pis ils n’écoutent plus juste les Beastie Boys ou Rage Against The Machine, ils écoutent la scène locale, parce qu’il y a une proximité. Tu vas dans un bar pis il n’y a aucune différence, aucune hiérarchie entre le journaliste de la scène locale, comme Marie-Hélène Poitras ou Olivier Robillard-Laveaux, le chanteur d’un band, le musicien, le public, le barman, le groupie, la personne qui est là par hasard. Il n’y a aucune différence, on fait tous partie de la même scène. S’il y a quelque chose à retenir c’est qu’il y a beaucoup d’effervescence, il y a beaucoup d’offre, mais il n’y a pas assez de demande, pas assez de public pour ça. Déjà CISM qui essaie d’aller chercher du public dans la couronne autour de Montréal. Parce que c’est bien beau si tu te promènes à Montréal tu vois toute notre gang à nous autres mettons Motus3F on est bien populaires, mais moi ma popularité s’arrête en plein milieu du pont Jacques-Cartier, plus loin que ça y a pu personne qui me connaît. Avec Gatineau on est allés jouer à Joliette, devant le barman. Donc c’est important d’aller chercher du public, d’amener des gens à Montréal, mais aussi en région.
Parlons un peu de l’IntégraLLL, qu’est-ce que représente la sortie de cette fameuse galette pour Gatineau ?
C’est le rêve et le travail de toute une vie de faire un album, depuis que je suis ti-cul que je rêve de faire un disque et enfin, je fais un disque et il ressemble vraiment à ce que je voulais. Là on est partis de l’idée des cassettes et des ghetto-blasters, parce que moi j’ai commencé à écouter du hip-hop avec des cassettes pis des ghetto-blasters, c’est ça qui est le fun côté imagerie. Ça signifie aussi l’achèvement d’une couple d’année de travail parce que il y a deux, trois textes sur le disque que je chantais déjà avec Ghislain Poirier, c’était le temps que ces textes là soient fixés pour qu’on puisse passer à autre chose, pis que moi aussi, parce que je sentais que ça m’handicapais un petit peu. Pis là je commence à travailler avec des nouveaux sujets donc le prochain album va pouvoir avoir une autre ligne directrice.
À quoi peut-on s’attendre avec l’IntégraLLL, l’ambiance, les sujets ?
C’est ben punk, c’est un en arrière de l’autre, ça arrache. Le drum est mis à l’avant plan pis ma voix est mise à l’avant plan, c’est ben punk, c’est ben sale, c’est pratiquement rock, mais avec un groove hip-hop. Un peu à l’image des shows, mais ça aurait pu aller un peu plus loin. Mais mettons avec une toune comme Freak de Montréal, est hallucinante, est pareille comme en show. C’est ça, c’est violent.
Comment ça se passe entre le moment où tu as une idée, jusqu’à ce que ça se concrétise sur une scène, en spectacle ?
C’est vraiment long. Des fois je peux penser à une toune, comme quand j’ai acheté mon laptop, j’ai commencé à écrire une toune, c’est Y a tout l’temps d’quoi , pis hier soir je me suis assis pis c’est arrivé tout seul. Des fois c’est un mot qui arrive pis qui s’enchaîne, mais souvent j’y pense longtemps, longtemps, longtemps à l’avance. Comme là je veux écrire une toune qui va s’appeler Ping Pong le « name dropping pogne ». Je veux parler de la scène locale mais dire je connais lui, je connais lui, je suis hot mais comme une grosse toune joke mais avec des affaires vraies. Là ça fait six mois que j’y pense. Quand j’ai une idée, au lieu de la concrétiser tout de suite, j’essaie de la vivre, d’observer tout ce qui se passe, voir comment ça marche. Je me mets en mode observation, mettons je me dis, je veux faire un portrait, un paysage, pis là je me promène un petit peu partout pis j’essaie de trouver un paysage, pis des fois c’est long mais un moment donné y a un élément déclencheur mais je sais que je veux faire ça. Souvent ce que je fais c’est que j’avance beaucoup, beaucoup dans un texte, mais y a tout le temps quatre lignes, un couplet que j’écris pas tout de suite parce que je me dis que je vais regretter d’avoir finit le texte tout de suite, qu’il me reste quelque chose à vérifier, une dernière phrase qui va lier tout ça. Souvent j’attends, comme là le texte que j’ai fini hier y me reste deux lignes à écrire, j’attends, je fais exprès, je le laisse là.
Tu me posais la question entre l’élément créateurs, pis le disque, c’est fou parce qu’en ce moment on fait le disque, pis c’est moi qui a décidé un peu du dessin avec la gang de Cinqunquatre, on s’est échangé plein d’affaires, je suis allé les voir une couple de fois. Écoute je suis allé chercher le papier pour mon album à l’imprimerie dans le Vieux Montréal. J’ai vu le papier se faire couper, aujourd’hui on a choisit les couleurs. J’ai tout, tout, tout vu de A à Z, c’est fou. Je pensais à ça, je me disais merde, j’étais dans le Parc Lafontaine, y a trois ans, un soir, avec deux bouteilles de vin en train de pleurer parce que je réalisais que j’étais alcoolique. J’écrivais dans le noir pis je voyais pas pentoute ce que j’écrivais sur ma feuille de papier. J’ai écris genre « j’passe toute mon temps, bin fini su’a java » le premier couplet genre de Alcool Entre ce moment là qui est un élément déclencheur pis triste dans ma vie, pis cette toune là est rendue sur un disque. C’est mongole, de penser que l’acte créatif c’est un acte tellement solitaire, t’es tout seul, pis là tu livres au public, pis la mise en marché de cette affaire là, c’est peté.
MC BrutaLLL, d’où sort-il, qui est-il ?
C’est mon Slim Shady. Ce qui est drôle c’est que MC BrutaLLL y était pas supposé de virer genre sexe au début. C’est que j’ai vu, y avait Ringo Rinfret, c’est drôle parce que je ne l’ai jamais dit à personne, ç’a duré une semaine cette influence là. Ringo Rinfret y a sorti un album, y a fait le cover du Voir, pis paraîtrait que c’est complètement stupide son disque. Pis je me suis dit crime ça serait drôle de faire un personnage de rap qui dit vraiment des conneries, mais dans le fond y répèterait exactement la même chose que les autres MC disent, mais il les amplifieraient tellement, que les autres rappeurs auraient comme pas le choix de dire « Ouin, c’est épais quand on parle de cul pis ci pis ça... » Fait que j’ai commencé à écrire là-dessus, « c’est moi MC BrutaLLL » « je suis dans la maison » au lieu de « I’m in tha house » pis finalement je me suis mis à écrire la toune Pointe all-dressed, pis après je me suis mis à écrire une autre toune sexuelle, pis finalement je me suis rendu compte que je pouvais aller vraiment loin là-dedans, que je pouvais dire n’importe quoi avec MC BrutaLLL. Au début MC BrutaLLL voulait parler de politique, mais des affaires qu’on peut pas dire, mais caché derrière un masque. Ça m’a pris deux ans avant de trouver le masque de MC BrutaLLL parce que j’osais pas pentoute faire cette toune là en show. MC BrutaLLL me permet de dire n’importe quoi, ce moment y parle de sexe, on a juste deux tounes avec Gatineau mais, moi dans ma tête en ce moment la plupart des textes que je signe c’est MC BrutaLLL, c’est juste que on ne les a pas montées. Peut-être que ça va être sur un disque plus solo, je ne sais pas. MC BrutaLLL permet de dire l’indicible. Souvent, ce que MC BrutaLLL a à dire, Séba n’est pas capable de l’accepter.
Question d’aborder le thème de l’Artichaut en bonne et due forme, parle-moi un peu de la chanson The Christ is Right, étant donné que ça parle de religion et de spiritualité...
The Christ is Right c’est un peu une critique des émissions de télé, Évangélisation 2000, c’est une critique de ça. Une fois je suis revenu chez moi j’étais complètement saoul pis je bouffais ma poutine à 5 heures du matin devant ça. Pis j’étais comme, ayoye, c’est vraiment n’importe quoi. C’est une critique des preachers, des gens qui veulent vendre la religion, qui veulent vendre la foi, des gens qui s’enrichissent avec ça. Quand la spiritualité est effacée derrière l’argent, c’est pas mal ça. Mes thèmes en ce moment c’est pas mal rendu ça, j’ai écrit une toune qui s’appelle Résolutions, mais là elle va s’appeler J’te Jure c’est une toune sur le fait de s’améliorer. Pis au début je l’ai écrite comme une joke cette toune là, je disais « Je vais devenir spirituel, je vais pratiquer l’abstinence sexuelle, je vais rentrer dans un monastère pour me faire monk, mais par contre je sais que j’atteindrai pas l’illumination au premier coup de gong » Ça parle beaucoup de spiritualité, de changer, d’arrêter de boire, d’arrêter de fumer. Pis au début je pensais que c’était une joke parce que c’est complètement aberrant le gars au début y veut arrêter de fumer pis à la fin c’est rendu qu’il veut rentrer dans les Ordres. Je l’ai relue deux mois plus tard pis je me suis rendu compte que y a rien de drôle là-dedans. Pis c’est ça, l’œuvre de Gatineau, mes textes au début c’était justement d’affronter mes dépendances en les expliquant, en les exprimant. L’alcoolisme, les problèmes de dépendance au fast-food, moi j’aime ça, Le Gros, c’est moi, c’est pas quelqu’un d’autre. Là je suis en train d’écrire sur l’élévation, la spiritualité, mon dernier texte c’est là-dessus. J’ai fait un autre texte aussi sur le hasard, la convergence, les dieux, la spiritualité, la mécanique quantique. Je suis de plus en plus en train d’écrire là-dessus, l’aspect spirituel, universel, dans le sens de l’univers. J’écris comme si j’étais dans l’univers pis que j’observais la Terre. Il y a beaucoup un désir d’élévation, de spiritualité dans mes textes en ce moment. C’est sous-jacent, je ne l’exprime pas trop parce qu’y faut tout le temps qu’avec Gatineau que ça passe dans un fit un petit peu humoristique. Je suis plein de dépendances mais c’est ça, c’est bien beau de critiquer toutes les sortes de dépendances, comme les dépendances amoureuses mais je pense que la spiritualité c’est ça, dans la spiritualité on peut trouver des solutions.
L’intégraLLL sera lancé sur vos visages le 24 mars, c'est-à-dire ce samedi, à 21h au Petit Campus (57, rue Prince Arthur, métro Sherbrooke). Pour 10$ vous aurez droit, en plus de la performance de Séba et Gatineau, aux rythmes et aux flows de deux rappeurs invités, Bleubird et Sontiago. C’est un rendez-vous à ne pas manquer, pour les amateurs de rap différent, original et authentique, qui casse la baraque. Pour plus d’informations, rendez-vous sur Myspace :
www.myspace.com/gatineau
www.myspace.com/bleubird
www.myspace.com/sontiago
Visitez aussi le blog de Séba/MC BrutaLLL
http://mcbrutalll.blogspot.com
2 commentaires:
Je rapporte le même commentaire laissé chez Mc Brutalll :
Super bon! Beau travail. J'ai déjà fait des entretiens publiés ici et là, ce n'est pas si évident que l'on croit. Ici, on a le temps de suivre Séba même s'il est un créateur vite sur ses patins.
Très bonne entrevue qui nous permet d'entrer un peu plus dans l'antre de Seba.
Félicitation !!!
Seba pour PM......!!!!
Enregistrer un commentaire